La Restit . . .

 
 

 

 

Restit… le mot fait rêver, on va enfin nous rendre ce qu’on nous a chouravé : nos espoirs d’une belle journée de vol, lessivés par des thermiques souffreteux. Rien n’est jamais perdu, invoquons la restit et la fin d’après-midi va s’achever dans le miel de douces spirales lascives.

Le vieux moustachu, bancal sur sa canne a tout les attributs du saronide dévoué. La question : – La restit à Grenois ? – est souvent pour sézigue. Toutes réponses autres que : – Aujourd’hui, ce sera à 19h13 sur le grand bois derrière la combe – surtout lorsqu’elles écornent le mythe, bloquent tout débat constructif. On ne monte pas sur un déco pour se faire rembarrer….

Avant d’accabler mon interlocuteur, je ne manque pas de demander ce qu’il entend par restitution. La réponse la plus souvent apportée est le fait que la forêt capte de la chaleur en journée et la stocke jusqu’au soir. Elle est alors restituée lorsque les thermiques faute d’être alimentés en énergie solaire, se tarissent peu à peu. Les parties du sol qui dans la journée ont été le plus chauffées se refroidissent plus rapidement, l’air stocké en forêt devient plus chaud, et provoque une convection douce sur de grandes plages. A ce sujet, je suis toujours intéressé par toute autre explication plausible, ne manquez pas de me l’envoyer par mail.

 

Le contexte ici est le parapente de plaine. Les zones de montagne ou des zones costières soumises à des régimes de brises spécifiques ne sont pas ici prises en compte.

 

Dans l’hypothétique modèle “historique”, puisqu’il n’y a aucune raison pour qu’une colonne thermique se développe au-dessus d’une étendue forestière, il n’y a guère d’autre solution pour expliquer les ascendances de fin d’après-midi que le recours au “stockage” dans ces couverts d’importantes quantités de chaleur. Dans ce cadre l’argument ne peut être qu’obscur, c’est le schéma a priori de la couche limite qui est à remettre en question.

Les modélisations “contemporaines” de la couche limite sont plus proches des phénomènes observés. Des champs cultivés aux futaies denses, les forçages dans la couche de surface exercés par le vent géostrophique et par les cellules thermiques structurantes pénètrent les couverts végétaux et y développent des structures cohérentes type Kelvin Helmholtz (cf. les pages Couverts végétaux). Il n’y a donc aucune raison pour que ces zones n’interagissent pas avec “les grands attracteurs” et ne concourent pas à leur alimentation (cf. page CLA pour les Nuls). La contribution de la vapeur d’eau à la flottabilité des cellules thermiques est loin d’être négligeable (cf. page La flotte). Aussi au-dessus des couvert végétaux, au bilan, il faut aussi ajouter la vapeur d’eau produite par l’évapotranspiration. L’interaction entre les bois et la couche limite est sur toute la journée permanente, aucune accumulation de chaleur ne s’y concentre, il n’y a donc aucune restitution à en attendre. 

 

Ceux d’entre nous que le sujet passionne plongeront dans les publications et les données tirées de la campagne BLLAST (Boundary Layer Late Afternoon and Sunset Turbulence). Un gros morceau dans le droit fil du sujet de cette page, les chercheurs de 21 organismes de recherche européens et américains ont sondé du 4 juin au 8 juillet 2011 les basses couches atmosphériques sur un rayon de 20 kilomètres et jusqu’à 4 kilomètres d’altitude au-dessus de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées. Cet article publié en 2013 dans le journal : Boundary-Layer Meteorology par : Anirban Garai, Eric Pardyjak , Gert-Jan Steeneveld et Jan Kleissl sous le titre : Surface Temperature and Surface-Layer Turbulence in a Convective Boundary Layer, rend compte de cette étude. Pour plus d’infos 2 liens : le site officiel de la campagne, ou la page de présentation sur le site de Météo France.

Au sujet de la transition en fin de journée, rien ne nous étonne dans les conclusions tirées des études BLLAST. La couche limite se stabilise par le haut. Une fois le max de convection passé, nous perdons petit à petit en indice d’octane pour terminer au diesel avant que ça coupe brutalement. Les petites turbulences sont les premières touchées, ne perdurent que les grosses structures thermiques. Les données ont été relevées sur un volume atmosphérique étendu au-dessus de sols de nature et de couverture très variés, aucun phénomène de restitution n’est mentionné.

 

Je ne nie aucunement l’existence en toute fin de journée de thermiques doux et étendus sur nos couverts végétaux. En planeur en rentrant tardivement à St Denis de l’Hôtel, par Combreux ou Ingrannes, j’ai souvent pu enjamber la Forêt d’Orléans à basse altitude dans de l’huile, sans rien perdre, des fins de circuits inespérées et toujours étonnantes. En toute fin de journée ne perdurent que les structures thermiques majeures. Le flux de chaleur sensible est coupé, il ne reste pour les alimenter que la combinaison des mécanismes de forçage, des effets d’entrainement et des apports d’eau  par évapotranspiration (c’est le moment où les stomates des feuilles s’ouvrent). Les énergies en jeux sont bien moindres qu’en plein après-midi mais les “grands attracteurs” sans concurrence le soir, drainent sur des surfaces au sol de plus en plus étendues. Rien de magique…

 

 

J Jacques  –  13 septembre 2018