Le Thermique

 

 

 

 

Sujet épineux s’il en est … J’m’en sors souvent par une pirouette : Tu veux que je pipeaute ou que je sois carré ?

 

Au-delà de cette ligne, je me lâche, la lecture est à vos risques et périls ….

 

Pour une question tordue sur Arome, MétéoFrance m’a mis en contact avec un de ses ingénieurs, lui causer Vz l’a laissé dubitatif, sans aucun doute il n’avait jamais mis un cul dans le cockpit d’un planeur ou dans une sellette, j’ai laissé tomber pour en venir à mes soucis, dès qu’il a été question d’énergie cinétique, le gaillard est devenu loquace, ce fut un bon moment au téléphone. Lui ne bosse que sur un fluide la plupart du temps à l’état gazeux. Digne héritier de De d’Alembert qui en réponse à un concours lancé par l’Académie des Sciences de Berlin a publié en 1746 : Réflexions sur la cause générale des vents. où il développait, pour le vent, son ouvrage : Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides, le job du gazier de Toulouse est d’en calculer l’évolution la plus probable.

De d’Alembert, Euler, Navier & Stokes … La mécanique des fluides a plus de 270 ans. Cette mécanique nous la connaissons sous le nom : aérodynamique quand il est question de l’écoulement de d’air et ses effets sur nos voiles. Flux autour du profil de nos ailes, ou de nos coteaux, ce sont les mêmes molécules, interagissant dans les mêmes conditions, le nombre de Reynolds décrit et quantifie les règles d’un même écoulement. Des dépressions et des anticyclones où la dimension caractéristique de l’écoulement est de l’ordre d’un continent aux tourbillons millimétriques au contact du Porcher, il n’est question que d’un seul processus en cascade, celle de Richardson et du rapport entre les forces d’inertie et les forces visqueuses qui s’appliquent sur l’écoulement. Chez MétéoFrance il n’y a pas de grumeaux dans la soupe, notre terrain de jeu n’est qu’un flux tourbillonnaire continu.

Roberto Centrazzo

 

Comme d’hab je vais pinailler. Le ” Thermique” dont il est question ici (j’en colle juste un gif représentatif, inutile d’y consacrer quelques efforts pour le décrire, ça va me coller les boules pour la matinée, mes excuses pour cette absence de rigueur) est pour le vélivole-parapentiste un phénomène aérologique, il le définit à partir d’une réalité sensible, des m. gagnés, les bips du vario, C’est un volume de gaz limité possédant des propriétés mécaniques et spatio-temporelles, qui le différencient de son environnement. Que ce soit sous forme de bulle accrochée au sol, en développement ou décollant pour former une colonne ascendante, le “Vent” le contourne, voir le déforme. J’ai lu des pros conseiller de se dresser la “carte mentale du thermique” pour en optimiser le centrage, une douce mélodie …

Mon météorologue, via ses modèles, ne calcule que la variation de constantes qui définiront l’évolution du fluide masse d’air et non pas le développement de corps aérologiques à l’intérieur de celle-ci. S’il considérait qu’il s’y forme des objets tel que nous le faisons, il s’attacherait à calculer leurs effets sur le flux qui les englobe. Pour ceux que nous enroulerions leur Reynolds est de l’ordre de celui des Zeppelins, le déplacement de ces mastodontes devait générer des effets aérodynamiques quantifiables. Si par exemple, dans la plaine devant le déco, accrochée au coin d’un champ , une bulle thermique y gonfle en attendant de décoller pour les barbules et que le  vent la contourne, je devrais pouvoir m’appuyer dessus en dynamique comme je le fais sur le coteau derrière.

Grande_roue

Considérer la couche limite comme un ensemble d’éléments discrets en interaction, non pas qu’ils soient timides et insaisissables, mais finis et délimités est fruste. Une réponse simple serait de considérer notre thermique que comme la partie ascendante d’un tore étiré sur toute l’épaisseur de la couche limite, chapeauté de son Cu. C’est ce que nous renvoient nos manuels et nos sites météos, les plus techniques vous vendent même doctement via leurs émagrammes et leurs algorithmes top-secrets-de-la-mort-qui-tue leur Vz moyenne. Sauf que c’est juste aussi con que de demander aux ingénieurs qui dessinent les grandes roues de calculer la vitesse moyenne montante des nacelles, sans appréhender l’ensemble de la rotation des engins, en niant qu’ils ont une masse, (la vitesse de rotation est instantanée), la résistance de l’air, les frottements mécaniques, la puissance et le rendement de son groupe motopropulseur (n’est pris en compte que de l’énergie électrique fournie par EDF et un moteur idéal standard). 

Les modèles météos ne nous livrent que le contenu de leurs mailles et son évolution dans la durée, soit en matière d’énergie disponible pour grimper, leur énergie cinétique totale : la TKE. Cette énergie est acquise et dispensée non pas sur la seule phase ascendante et adiabatique, mais sur l’ensemble des cycles de rotations des tourbillons, qui se forment, se dégradent et échangent en permanence.

 instabilité de Rayleigh-Bénard

 

Flux tourbillonnaire n’est systématiquement pas synonyme de flux chaotique, la mécanique des fluides résout le développement de systèmes convectifs structurants la couche limite : instabilité de Rayleigh-Bénard : les trucs qu’on enroule (cliquer sur l’image) et explicite des phénomènes comme Kelvin-Helmholtz, tourbillons de Görtler, hairpin eddy de Finningan … Je collectionne ces délires, qui par de méchantes fermetures soufflent nos certitudes paresseuses et nous interrogent sur les lacunes de nos bouquins.

Quelques soit leur taille, si leur axe n’est pas strictement vertical, tous les tourbillons présentent dans leur rotation une phase ascendante. Pourtant, nous ne gratifions pas du terme thermique tous les vortex à notre échelle. Dans notre économie de la couche limite, en donner une définition précise est incontournable. Les grands coups de raquette que nous nous mangeons dans nos transitions, ne sont pas exploitables au-delà du marsouinage, les qualifions nous de thermique au sens où nous les prendrions en compte pour nos prévisions de prochaine Vz, pour caller le M.Cready ? Pourrait être “Thermique” une ascendance que pourrions enrouler sur au moins 1 tour en conservant sur les 360° une Vz positive, pourquoi pas, sauf qu’une Vz> 0 dépend du taux de chute de notre aéronef. Dans mon Cirrus je me suis souvent refais en patientant dans du 10/20 cm/s , soit 20 cm/s + 50 cm/s (taux de chute planeur) = 70 cm/s . Ce thermique, avec ma M6 qui chute à plus de 1m/s je le traverse sans sourciller, ma Vz reste négative. Serait “Thermique” pour un planeur ce qui ne l’est pas forcement pour un parapente. Si je serre le noyau d’une pompe faiblarde, j’augmente mon taux de chute et peux en optimisant mal mon rayon de virage transformer une ascendance en subsidence. Les bips d’un vario confortent l’idée que nous nous faisons de la chose, mais ils sont insuffisants pour la définir. Est alors “Thermique” un truc qui dépend d’une mesure par un observateur, qui peut être à la fois pompe ou déguellante, ça fleure bon le chat, j’n’ai pas le feeling avec les félidés mais envisager sous cet angle notre Thermique n’est pas pour me déplaire.

L’hypothèse hydrostatique implique une atmosphère à l’équilibre et au repos, j’ajouterai puisque la viscosité de l’air y est nulle en mouvement rectiligne uniforme, par simple changement de référentiel. Dans ce cadre tout apport local d’énergie crée nécessairement en rupture, un volume d’air fini, limité et indépendant, subissant et produisant des contraintes sur l’atmosphère environnante : pression, poussée d’Archimède, sinon la masse d’air en tant que contenant, n’est plus stable et au repos, les règles de l’hydrostatique n’y sont alors plus applicables. La description de la formation de nos bulles au contact du sol et des conditions nécessaires à leur ascension, via nos émagrammes, c’est à dire en ne considérant l’atmosphère que comme un système contraint par les règles hydrostatiques en est l’exemple type. C’est le modèle hydrostatique qui implique la dualité contenant / contenu, soit ici masse d’air / Thermique. La couche limite n’est alors plus décrite que comme une vaste piste d’auto-tamponneuse où se cognent bulles, thermiques, vent météo et autres joyeusetés, le tout sans mélange, ni aucun échange d’énergie et de quantité de mouvement. Réfléchir dans cet espace, je coince, manque de créativité ou mauvaise volonté, je vous laisse juge. De d’Alembert en 1774 pour sa théorie des vents ne s’est pas fourvoyé dans un tel merdier.

 

Pourtant nous causons “Thermique”, c’est la scène nos exploits, nos manuels y consacrent les plus séraphiques de leurs pages. C’est notre point Godwin ; essayez de vous rappeler votre dernière conversation avec des profanes qui ne se soit pas arrêtée sur ce motif. Je laisse tomber la couche limite puisqu’ils n’ont rien à y faire pour me lancer dans de l’étiologie de basses couches, le terrain m’y semble plus propice à leur déclenchement. Réfléchissons aux raisons pour lesquelles nos thermiques sont si incontournables et à la façon dont fonctionnent non pas les tourbillons de la couche limite mais la “Pompe” dans la culture, pour être plus large, vélivole.

Je lâche les barbules : Wenger et Lave, inutile de chercher ces deux-là dans le côté obscur des forces. Je copie/colle un extrait de la page Wikipédia où on en cause : “Etienne Wenger et Jean Lave ont défini l’expression de “communauté de pratique” comme étant un groupe de personnes ou d’institutions qui partagent un intérêt commun envers la même pratique, ainsi qu’une volonté partagée d’améliorer leur expertise et leur expérience de celle-ci”. – Aborder notre petite société sous cet angle n’offusquera pas, je pense, l’ensemble de nos pilotes. Ce concept a été développé à partir des théories de l’apprentissage social, Wenger et Lave insistent sur celui d’apprentissage situé.

Apprentissage situé… C’est barbare, j’extrais une définition de Josiane BASQUE tiré d’un blog ouvert par une boîte de formation high tech, en espérant qu’elle éclaire un tant soit peu le ravin où je vous mène :

« Selon cette approche, la cognition ne réside pas dans la tête d’un individu, sous la forme de connaissances abstraites qui sont « transportées » d’une situation à une autre. La cognition se trouve plutôt dans l’interaction entre une personne et les autres personnes qui l’entourent, les objets et les outils qui se trouvent dans son environnement ainsi que les pratiques sociales développées au sein de sa culture. »

L’apprentissage situé se caractérise par :

  • « L’interdépendance entre le milieu culturel de l’apprenant, son environnement d’apprentissage et ses connaissances. Les apprentissages développés sont culturellement ancrés autour d’une histoire commune, de représentations sociales, de pratiques partagées, d’un vocabulaire négocié, etc. C’est au sein de cette culture commune que les apprentissages prennent sens. »
  • « L’apprentissage comme une participation à une activité sociale. L’apprentissage est donc considéré comme un acte de participation et d’intégration à un groupe social en maîtrisant progressivement son fonctionnement et ses normes.
  • L’internalisation des apprentissages – qui dépasse la notion de transfert bien connues des enseignants. Pour Lave et Wenger, l’apprentissage se réalise grâce au développement de l’expérience de la personne en interaction avec d’autres professionnels dans un contexte qui valorise autant (et en même temps) la formalisation et la négociation de sens des savoirs et des savoir-faire, que l’expérimentation et la participation à une pratique professionnelle.

 

Notre pratique s’articule sur un maillage école-déco, c’est moins évident en plaine pour des raisons pratiques. Ces hubs structurent nos échanges et la façon dont nous percevons notre pratique. Certes il faut bien décoller quelque part, mais que le chef-moniteur local soit le phénix des hôtes de son déco m’interpelle. J’ai longtemps pensé que la FFVL n’était minée par le lobby des Écoles que par intérêt matériel, l’entrave est plus ambiguë. Notre communauté se construit autour de la dualité moniteur-gourou / pilote. La propension de nos membres à satisfaire aux injonctions de la fédé, soit se payer le “Brevet de PILOTE”, patente sans intérêt autre que celui d’être adoubé par la communauté, n’est qu’un exemple de cette relation Ecole comme institution formatrice / reconnaissance par le groupe. Je parle bien de la médaille en chocolat, non du contenu des stages.

Je recite Wikipédia : « Wenger met en avant l’importance de la dualité entre participation et réification, la participation correspondant à l’expérience sociale d’appartenance à une communauté et à l’engagement dans celle-ci, tandis que la réification consiste à transformer une expérience en un objet (texte, schéma, prototype, méthode…). La réification est forcément réductrice mais elle constitue un point d’ancrage collectif indispensable au partage et à la capitalisation des savoirs. »

Le « Cycle du Thermique » est un récit fondateur où la Pompe en tant qu’élément épique occupe la place centrale. En appeler à l’antique savant Grec, assure à l’allégorie la tournure d’une démarche rigoureuse – Archimède dixit… L’hypothèse hydrostatique comprise non pas comme un moyen de contourner les dérivées partielles au temps où les calculs devaient se faire à la règle mais comme une théologie, renvoie à cette dualité décrite par Wenger. Elle installe une caste de spécialistes, grands consommateurs d’émagrammes, d’algorithmes obscurs, et autres mets savoureux, qui assument la réification, et s’appuie sur un ensemble de disciples qui se cooptent et s’agrègent à la mesure du partage de la « Parole », la participation. Cf l’incontournable : Le chant du Vario, sur une recherche portant sur un mot inhérent à notre pratique, ce forum prime dans les liens proposés par les moteurs de recherche, alors que les publications portant sur le sujet, validées par la communauté scientifique, sont aux abysses. Wikipédia sur ce plan, n’est pas en reste, l’encyclopédie participative dès lors qu’elle est alimenté par notre gent, nous offre des perles.

1822, Navier introduit la viscosité dans les équations d’Euler, 1845 Stokes donne sa forme définitive à l’équation de conservation de la quantité de mouvement, ce n’était pas 2 hurluberlus paumés et géniaux, Cauchy, Poisson, de Saint-Venant sont des patronymes qui devraient réveiller de vagues souvenirs. Boltzmann 1872, théorie cinétique des gaz, décrit le comportement d’un système thermodynamique hors état d’équilibre. Pour frimer, je peux continuer à en étaler, je veux juste insister sur le fait qu’à l’heure des exploits d’Aimé GRASSET, l’essentiel des travaux sur la mécanique de l’atmosphère, telle quelle est développée aujourd’hui par nos modèles, était publié.

Pour assouvir la curiosité et répondre aux questions de nos ainés, le corpus nécessaire et suffisant pour une démarche scientifique était accessible, si tant est que leur volonté était bien de cet ordre, et/ou que leurs connaissances dépassaient le programme du « Certificat d’Etude ». Je suis tout disposé à faire preuve de mansuétude à l’égard de nos pionniers.  Aujourd’hui la recherche a consolidé les travaux fondamentaux et continue à progresser au rythme de ses supercalculateurs, que penser 1 siècle plus tard des exégèses de nos druides ?  

Je ne remets en question, ni le rôle, ni le statut de nos cadres. La principale des attributions d’une fédé qui a la prétention d’être celle du vol LIBRE est d’accompagner, de guider, d’aider à la réflexion et à la construction des compétences de ses pilotes. Tutrice d’un récit fondateur, il est impératif qu’elle en analyse le contenu. Je suis persuadé qu’y réfléchir ne peut que déboucher sur une révolution copernicienne, cette assertion doit passer le crible de votre propre analyse. Ma seule prétention – j’insiste – est d’œuvrer pour que nos manuels soient autant utiles pour « être » au déco que pour gratter sur la plaine.

 

 

 

 

jean jacques  –  16 septembre 2022 –