2 ou 3 remarques sur la dynamique de la couche limite

 
 

Il ne s’agit pas ici de pondre le nouveau standard et de compiler les équations enfin définitives, mais d’ouvrir des chemins. Je me répète surement : chacun de nous construit sa propre représentation de notre terrain de jeu, par ses observations, ses questions, ses lectures, ses échanges. A nous de préserver notre curiosité et notre sens critique. Si une de nos observations ne colle pas avec l’idée que nous nous en faisions, il faut suivre les paroles de Boris Vian: Y’a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement. 

Pourquoi insister autant sur la “lecture” de la masse d’air ?

Sans jouer les has-been, ado en planeur, je volais fort, j’y ai alors engrangé un paquet d’heures de vol et de bornes sur la campagne. Si parapente, planeur, la “stratégie” est la même la tactique est bien différente, et pas seulement en transition où il suffit d’annoncer 40 de finesse et 250 km/h au badin (le standard dans les années 75/80) pour clore tout débat. La grosse différence c’est la charge alaire, ballasté je tournais dans les 46kg/m², à la même charge ma voile ferait mois de 2 m², et dans le thermique ça change tout ! Il m’a fallu un peu de temps pour me remettre les pendules à l’heure, à mes débuts en parapente dans les pompes, mon comportement vélivole m’a valu quelques déboires.

Dans le thermique, la charge alaire c’est “le couple moteur”. Pour un planeur en haut d’une chandelle le passage à 0 g est très bref, basculement sur l’aile et il enroule dans la seconde. Les “grands coups de raquette dans la g….” nous laissent à la merci de la bulle de longues secondes. Le vélivole profite d’une plume soulevée pour amorcer le virage, aucun souci pour le ½ tour dans la dégeulante, en parapente j’ai payé mainte fois cette manœuvre au prix fort. Ces 2 exemples pour monter qu’un pilote de planeur est actif dans le thermique, sa vitesse propre en regard aux vitesses de la turbulence lui permet d’optimiser sa trajectoire en fonction des éléments (les cellules qui composent l’ascendance) qu’il traverse. Au contraire le pilote de parapente “subit” le thermique (le terme subir n’est pas ici péjoratif et n’est pas synonyme de pilotage passif). Un exemple numérique : il est banal de prendre une variation de vitesse verticale de +2m/s sur une durée de l’ordre d’une seconde, pour donner un ordre d’idée avec les vitesses données pour nos voiles, ça fait verticalement +72 km/h. Il faut alors combien de temps à une voile école, une classe D ou un gun pour retrouver bras haut sa vitesse de vol et de quel ordre est ‘elle ? Sachant qu’en plus l’ensemble parap/pilote perd sur le coup de raquette 20% de sa “force motrice” (P = mg, ce n’est plus seulement g à prendre en compte mais  9,81 – 2 = 7,81 m/s-2). Le vélivole réagit aux variations du thermique, le parapentiste doit les anticiper en cherchant à optimiser son placement dans l’ascendance, l’optimum n’est pas forcément la plus grande Vz à un instant donné, c’est de trouver la cellule du thermique qui à terme l’emportera le plus haut le plus vite et d’y rester. Cela vaut p’être le coup de se gratter le crane quitte à y laisser quelques cheveux !

 

La démarche des météorologues doit répondre à 2 problématiques, la première concerne la compréhension des processus observés, la deuxième relève la plupart du temps de l’intégration de ces processus dans les modèles existants. Seul le 1er point nous concerne, c’est le lieu du bilan des connaissances relatives au sujet, des observations et des hypothèses. La 2eme partie plonge dans le pur formalisme. Aucun complexe à avoir : ces pages sont tartinées d’équations peu nous importe de les maîtriser, ce sont juste des mécaniques. Ça avale une température, une pression, un rapport de mélange, ça recrache la même température, la même pression le même rapport de mélange après l’événement pris en compte. Une vitesse est nécessaire, ce sont juste 2 positions et une durée. La seule chose qui nous intéresse est de comprendre les flux de matière, de température, de quantité de mouvement que ces équations formalisent, ce sont ces flux qui nous montent ou non aux barbules, et qui nous flanquent la voile sur la tronche. Pour les prévis, c’est AROME, WRF, COSMO-D2 …

 

Il faut s’entendre sur la définition du thermique. Les météorologues doivent nécessairement la définir et ce de façon précise cf. pages 60 à 63 de la thèse de C. Rio. Pour nous cela semble plus simple, le critère que nous retenons est le bip du vario. Pour être un peu plus rigoureux, j’avancerai : le thermique est l’ensemble des particules d’air animées de mouvements aux vitesses verticales supérieures à ≈ +1,6 / +1,8 m/s (vitesse de chute de nos voiles), suffisamment cohérents pour être exploitables, donc d’une largeur au moins égale au double de notre rayon de virage. Même remarque concernant le plaf, où la présence de couches à l’intérieur de la CLA à trop faible ou à contre gradient freinent les Vz des thermiques en dessous des valeurs pour nous exploitables. Notre champ d’action n’est qu’une partie de la CLA. Notre vario est un sacré filtre, il est bien entendu nécessaire et suffisant pour nous maintenir en vol, mais se révèle inadéquat pour appréhender les phénomènes en jeu dans la couche limite pour et tenter d’en comprendre la dynamique.

 

Toujours garder à l’esprit, qu’une campagne de mesure est un gros investissement matériel et humain, limité dans l’espace et dans le temps. Ce n’est qu’un cadre à partir duquel sont généralisées les conclusions. Par exemple la “célèbre” campagne IHOP 2002 (International H2O Project) base du travail de Geerts et Miao, une des références en la matière s’est déroulé du 13 mai au 25 juin 2002 au-dessus des Grandes Plaines de l’Oklahoma, Sur ce gros mois d’observation, seules 4 journées de mesure ont été exploitables: 29 mai, 6, 16, et 17 juin 2002. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, les parapentistes que nous sommes ne peuvent oublier l’extrême variabilité de nos conditions de vol.

thermique RC

Roberto Centrazzo

 

Vidéo 1

 

Vidéo 2

Mes propos envers nos docteurs es parapente sont souvent acides. Ce qui m’irrite ce ne sont pas les contenus de leurs schémas (schéma est à prendre ici dans son sens le plus large), ils ne sont que la formalisation de concepts qui étaient au moment où ils ont été formulés le plus souvent pertinents, mais c’est en premier point, le fait de les ériger sous l’argument d’autorité en dogmes définitifs et dans un second temps de les colporter sans aucune analyse critique.

Juste un exemple pour illustrer cette critique. Dans les années 60, modéliser l’atmosphère à partir du modèle des cellules de Rayleigh Benard, permettait de schématiser les phénomènes observés et de les formaliser mathématiquement. Cette approche compte tenu des observations et des moyens de calcul alors disponibles était opportune. Cela nous vaut toujours nos belles bulles toriques (rond de fumée) et nos thermiques en champignons, cf. le beau gif dessiné par Roberto Centrazzo.

Voici 2 vidéos de simulation numérique du développement de cellules de  Rayleigh Benard, (cliquer sur les images pour lancer les vidéos).  Dans la vidéo 1 en 2D, proposée par Orestis Malaspinas et Peter Weisbrod. Le sol est chauffé avec une petite perturbation au centre, en haut une température inférieure constante est appliquée et sur le côté le flux de chaleur est supposé être périodique. Pour obtenir une telle simulation, les paramètres à appliquer aux équations sont le nombre de Rayleigh=1e+8, celui Prandtl=1, N=100 et dt=0.0001. La puissance de calcul de nos ordinateurs nous permet aujourd’hui de pousser la simulation sur une durée suffisante pour dépasser les premiers instants où le phénomène se développe sous forme de tore et de colonne. Un nombre insuffisant de cycle de calculs, faute de moyens techniques, conduit à généraliser les cellules de Rayleigh Benard sous cette forme, c’est celle qui est reprise et re-reprise dans notre littérature.

La vidéo 2 en 3D, permet de constater l’importance du choix des valeurs retenues comme paramètres aux équations, ici les conséquences de la variation du nombre de Rayleigh. Toute modélisation nécessite de fixer ce type de paramètre, d’appliquer des filtres ou des seuils de tolérances, une grosse partie du travail de modélisation consiste à affiner leur grandeur.

C’est cette modélisation à partir des équations de Raileigh Benard qu’exploite Sutton, en 1953, dans  – Micrometeorology : a study of physical processes in the lowest layers of the earth’s atmosphere. S’y référer dans les années 60 est légitime, le faire encore aujourd’hui revient à se priver de plus de 60 années de recherche.

Stull, 1988

 

Le fait de butiner de publication en publication nous conduit à agréger si on n’y prête pas attention des concepts qui ne sont pas issus des mêmes principes, ou des mêmes types de modélisation, flux de masse, LES… Nous tombons facilement dans ce piège, nous retrouvons souvent cette dérive, dans des docs de cours où la volonté d’être exhaustif conduit à des caricatures.

Par exemple en 1988, la “vie” de nos cums est largement documentée, les paramétrisations en flux de masse rendent compte des effets d’entrainement et de détrainement, tant au sommet des cum que sur leurs bords, par contre ces effets sont ignorés dans les thermiques sous-jacent. Stull, dans le schéma p 11 de son bouquin: An Introduction to Boundary Layer Meteorology, nomme cette zone où se développe les cumulus: zone d’entrainement, elle est différente de la couche convective puisqu’il s’y applique un modèle spécifique. En raison des problèmes de complexification, il faut attendre les années 2000 pour que ces effets soient pris en compte sur l’ensemble de la colonne thermique, Soares et al. 2004 : An eddy-diffusivity/mass-flux parametrization for dry and shallow cumulus convection. Aujourd’hui, si une surface sépare cette zone de mélange de la couche convective, elle s’est déplacée. La zone de mélange est réduite à sa plus simple expression, elle n’a pas été pour autant renommée.  Le schéma de Stull est repris ou sert de fond de calque à de nombreuses publications, “concaténer” dans ces zones différentes conclusions en les extrayant de leur contexte peut conduire si nous y faisons pas gaffe à dire des bêtises.

 

jjacques  –  15 juillet 2018

 

SCIENCE INSIDE A TORNADO – Décoding the EF5

 

Edit : 20/05/2020

Confiné, je me suis gavé de vidéos mises en ligne par les chasseurs de tornades, des fous furieux… impressionnants… Pour suivre leurs commentaires, décoder les images, essayer de comprendre les choix “tactiques” à travers les champs, je me suis penché sur la structure et la formation de ces monstres. Je partage ici une vidéo fort didactique : SCIENCE INSIDE A TORNADO – Décoding the EF5,  l’enjeu n’est en aucune façon la recherche d’un quelconque parallèle entre leurs mesocyclones et nos thermiques, mais d’appréhender l’apport des LIDAR, radars Doppler, satellites, simulations numériques et autres joyeusetés, pour la compréhension des phénomènes.

Aujourd’hui la lecture de notre couche limite, ne peut plus se contenter de paradigmes simplistes. Les travaux de recherche à notre disposition décrivent des phénomènes complexes, voir contre intuitifs. Combien d’entre nous aurait envisagé, dans et sous ces supercellules, le double enroulement du SVC et ses vortex contrarotatifs, et minoré les effets du RFD. Si c’est si compliqué sous un Cb, certes survitaminé, comment continuer à se bercer de douces niaiseries sous nos Cu ? 

Je n’ai pas pu sauvegarder les sous titres: lien sur l’image, ils sont dispo sur le lien pointant directement sur Youtube : dans le texte. Ils sont pourris mais ils peuvent tout de m^me aider à comprendre les commentaires.

Si le sujet vous branche, le bouquin de Cotton et coauteurs est incontournable : Storm and cloud dynamics

jjacques