Températures potentielles

 
 

Au déco en attendant que cela se mette en place, c’est le moment privilégié d’échanger un peu avec les groupes qui viennent partager la magie de Grenois. Ce n’est pas toujours bon enfant, les “Ceinture noire Parapente 3e dan” quand ils manquent de respect envers “mes” thermiques m’indisposent. C’est plus fort que moi, faut que j’m’en mêle. A ma décharge je n’avais pas compris qu’en cette fin de matinée le dit moniteur dont il est question, avait complété son groupe d’un jeune couple pour une journée “découverte parapente”, j’ai malencontreusement sauté à pieds joints dans le plat, pendant la séance “les fondamentaux”. Venant de la capitale, les gars de Grenois sont des paysans, en ce sens il n’avait pas tort, je cotisais encore à l’AMEXA, mais bon on a beau être de la campagne, on sait quand ça fait mal ! Devant son arrogance, sûr de mon effet, j’ai lâché la question perfide:

– Tu nous dis que l’air chaud plus léger que l’air froid monte, et qu’au sol l’air est plus chaud qu’en altitude, là tout de suite au déco il fait plus chaud qu’en altitude non? Pourquoi ça monte pas? Pourquoi les couches les plus chaudes restent au fond du bocal ?

Pour ne pas lamentablement s’embourber dans des histoires d’adiabatique qui ne répondaient en rien à ma question, dans le même sabir la bonne répartie eut été :

– L’air chaud n’est pas celui que tu crois, dans l’atmosphère standard les couches les plus chaudes sont bien les plus hautes!

 L’anecdote date du temps où j’avais mes jambes, c’est vieux, mais la remarque: “T’es conneries c’est bien, mais ça complique tout, des températures potentielles, des thermomètres rincés…” me l’a remise en mémoire. Le thermomètre mouillé, c’n’est pas pour la température de l’eau du bain qu’on va balancer, et avec le bébé en plus. Ce souvenir me donne l’occasion d’expliquer la nécessité d’un formalisme rigoureux, qui rend les explications complexes et contre-intuitives.

A causer de thermodynamique, j’ai forcement dû parler de variable d’état. Dans toutes les définitions que l’on trouve revient l’idée: L’état d’équilibre d’un système est caractérisé par plusieurs paramètres, appelés variables d’état. Pour nos particules d’air il est donc question, d’état à l’équilibre et de valeurs de mesure qui le caractérisent. A cette fin, utiliser la “simple” température d’un volume d’air qui dépend de sa pression, donc de sa hauteur (loi des gaz parfait), ça complique vachement les équations dès qu’il s’agit de formaliser phénomènes en 3D. Pour nos calculs, faut qu’on se dégote pour caractériser l’état de notre volume d’air, un truc qui reste constant quel que soit le déplacement.

Et…Hop! Sortent du chapeau, les températures potentielles.

 

Un petit rappel de la loi des gaz parfait,au cas où

\(P*v=R*T\)

\(P\) : pression, Pascal

\(v\) : volume massique, m3/kg, (c’est l’inverse de la masse volumique utilisée pour la densité) plus v est grand, plus l’air est “léger”

\(R\) = constante des gaz parfait pour l’air : 287 J.kg-1.K-1 pour de l’air pas trop humide,  (qui correspond à  \(\frac{R}{M}\), avec \(R\) la constante universelle des gaz parfaits et \(M\) la masse molaire de l’air, \(M\) dépend donc de l’humidité)

\(T\) : température, Kelvin (0°C = 273.15 Kelvins).

Le plus simple pour répondre à ma question, est de faire appel à Archimède, je calcule la masse volumique ϱ :

\(\varrho =\frac{1}{v}=\frac{P}{R*T}\)
  • Au niveau du sol : la pression est d’environ 101 325 Pa et la température de 15°C soit 288 K. Donc : ϱ = 101300 / ( 287 * 288.1 ) -> ϱ = 1.22 kg/m3
  • A 1000 m : la pression est de 900 Pa, et la température de 8.5°C soit 281.6 K. Donc : ϱ = 90000 / ( 287 * 281.6) -> ϱ = 1.11 kg/m3
  • A 2000 m : la pression est de 794 Pa, et la température de 2°C soit 275.1 K. Donc : ϱ = 79400 / ( 287 * 275.1) -> ϱ = 1.00 kg/m3
  • A 5000 m : la pression est de 541 Pa, et la température de -17.5°C soit 255.6 K. Donc : ϱ = 79400 / ( 287 * 255.6) -> ϱ = 0.73 kg/m3

Ouf ! Les couches d’air les plus denses sont bien en bas dans l’atmosphère standard.

Température potentielle : \(\theta\)

Ma question à la con portait sur des températures, restons dans ce cadre.

Pour caractériser nos particules d’air, il nous faut une température qui ne dépende pas de l’altitude, le plus simple est de placer toutes les particules d’air que nous devons prendre en compte dans les mêmes conditions de pression, les valeurs alors obtenues sont les températures potentielles.

La température potentielle est la température hypothétique qu’une parcelle d’air acquerrait si celle-ci était redescendue près du niveau de la mer à la pression standard P0 par compression adiabatique.  P0 est habituellement fixée à 1 000 hPa.

\(\theta =T\left ( \frac{P{0}}{P} \right )^{\frac{R}{C{p}}}=T\left ( \frac{100000}{P} \right )^{\frac{2}{7}}\)

\(T\) est la température en K et \(P\) est la pression en Pascal de la particule d’air.

\(R\) est la constante spécifique de l’air sec dans le cadre de la loi des gaz parfaits (287 J/(kg·K)).

\(R=C{p}-C{v}\), ou \(C{v}\) est la chaleur spécifique de l’air sec à volume constant, et \(C{p}\)

\(C{p}= 1 004\, J.kg^{-1}.K^{-1}\) est la chaleur massique à pression constante de l’air, donc le rapport \(\frac{R}{C{p}}=\frac{2}{7}\)

Je reprends le même exemple que pour les gaz parfaits :

  • Au sol : θ = 287 * ( 100000 / 101300 )( 2 / 7 ) -> θ = 287 K  = 14°C
  • A 1000 m : θ = 287 * ( 100000 / 90000 )( 2 / 7 ) -> θ = 290 K  = 17°C
  • A 2000 m : θ = 287 * ( 100000 / 79400 )( 2 / 7 ) -> θ = 294 K  = 21°C
  • A 5000 m : θ = 287 * ( 54100 / 90000 )( 2 / 7 ) -> θ = 305 K  = 32°C

Le profil vertical de la température potentielle est différent de celui de la simple température, dans notre atmosphère standard la température potentielle augmente avec l’altitude. Pour replonger dans notre jargonnage de déco”L’air chaud n’est pas celui qu’on croit, les couches les plus chaudes sont les plus hautes”.

Température potentielle équivalente : \(\theta{e}\)

Dans le mélange de gaz constituant l’atmosphère, l’eau est le seul corps susceptible de changer d’état, gazeux, liquide, solide, tant qu’elle reste sous forme de gaz, l’air se comporte comme un gaz parfait, la température potentielle suffit alors pour analyser la stabilité de la masse d’air. Tout changement d’état de l’eau libère ou absorbe de l’énergie, il faut donc en tenir compte.

On obtient la θe en soulevant une particule d’air selon le gradient adiabatique sec jusqu’à ce que la vapeur d’eau contenue atteigne la température de saturation. L’objectif étant de condenser toute cette vapeur d’eau, le soulèvement est maintenu mais maintenant selon le gradient pseudo-adiabatique humide, ce qui relâche par  passage de l’état de vapeur à l’état liquide, la chaleur latente. Une fois toute la vapeur condensée, on redescend la particule le long de la courbe adiabatique sèche jusqu’à la pression standard de 1000 hPa.

Pour le calcul de la θe :

\(\theta_{e}=T{e} \left ( \frac{100000}{P} \right )^{\frac{2}{7}}\) comme \(T{e}\approx T+\frac{L{v}}{C{p}}r\; \Rightarrow \; \theta_{e}\approx \left ( T+\frac{L{v}}{C{p}}r\right )+\frac{L{v}}{C{p}}r \left ( \frac{100000}{P} \right )^{\frac{2}{7}}\)

\(T{e}\) est la température équivalente, c’est la température d’une parcelle d’air dont on aurait complètement retiré sa vapeur d’eau par un processus adiabatique.

\(L{v}\) est le coefficient de chaleur latente d’évaporation (de 2 400 kJ/kg (25 °C) à 2 600 kJ/kg (−40 °C))

\(r\) est le rapport de mélange de vapeur d’eau (g/kg)

Pour donner un ordre de grandeur, la condensation d’un gramme de vapeur d’eau échauffe le kilogramme d’air qui le contient de 2.3°C à 2.4°C environ. D’où l’importance de tenir compte la chaleur latente.

Température pseudo-potentielle du thermomètre mouillé : \(\theta{w}\)

La température pseudo-potentielle, souvent nommée simplement potentielle du thermomètre mouillé, voir température potentielle liquide θl,  est la température qu’aurait une particule d’air après avoir subi un refroidissement adiabatique par ascendance jusqu’au niveau de saturation puis ayant été redescendue jusqu’à la pression standard par une compression adiabatique dans un processus adiabatique saturé en fournissant l’humidité pour la garder à saturation malgré le réchauffement.

La θe et la θw expriment le même concept. Dans les équations, choisir comme variable θe ou θw permet de s’affranchir des difficultés liées à la saturation dans les équations faisant intervenir les variations de pression.  En choisissant θe la particule suivra la courbe de l’adiabatique sèche, pour θw ce sera la saturée. L’utilisation de l’une ou l’autre relève plus de l’habitude et de la pratique, MétéoFrance privilégie la θw pour ces prévisions, alors qu’en Amérique du Nord, la θe est plus fréquemment utilisée. Certains sites internet calculent à la fois la θw et la θe dans leurs modèles, c’est avant tout pour générer du contenu à moindre coût. En théorie, il peut y avoir des arguments pour préférer un paramètre à l’autre, en pratique cela ne fait aucune différence.

En ce qui concerne la couche limite, les  températures potentielles θe et θw permettent de comparer des particules d’air venant de différentes altitude (analyse isentropique). C’est le moyen utilisé pour mesurer l’instabilité thermique de la masse d’air :

  • Si θe et θw diminuent avec l’altitude, la masse d’air est instable.
  • Si θe et θw restent les même avec l’altitude, on a une masse d’air neutre.
  • Si θe et θw augmentent avec l’altitude, on a une masse d’air stable.

Les θe et θw étant invariantes lors des mouvements atmosphériques, elles sont utilisées comme marqueur pour caractériser et suivre les masses d’air à méso-échelle.

jjacques  17-juillet-2018